Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 1.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
HISTOIRE DE FRANCE

d’abord, elle se doubla, se tripla devant lui ; et quand les bras lui tombaient de lassitude, alors apparut, avec les flottes danoises, cette mobile et fantastique image du monde du Nord, qu’on avait trop oublié. Ceux-ci, les vrais Germains, viennent demander compte aux Germains bâtards, qui se sont faits Romains, et s’appellent l’Empire.

Un jour que Charlemagne était arrêté dans une ville de la Gaule narbonnaise, des barques scandinaves vinrent pirater jusque dans le port. Les uns croyaient que c’étaient des marchands juifs, africains, d’autres disaient bretons ; mais Charles les reconnut à la légèreté de leurs bâtiments : « Ce ne sont pas là des marchands, dit-il, mais de cruels ennemis. » Poursuivis, ils s’évanouirent. Mais l’empereur, s’étant levé de table, se mit, dit le chroniqueur, à la fenêtre qui regardait l’Orient, et demeura très longtemps le visage inondé de larmes. Comme personne n’osait l’interroger, il dit aux grands qui l’entouraient : « Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure amèrement ? Certes, je ne crains pas qu’ils me nuisent par ces misérables pirateries ; mais je m’afflige profondément de ce que, moi vivant, ils ont été près de toucher ce rivage, et je suis tourmenté d’une violente douleur, quand je prévois tout ce qu’ils feront de maux à mes neveux et à leurs peuples[1]. »

Ainsi rôdent déjà autour de l’Empire les flottes danoises, grecques et sarrasines, comme le vautour

  1. Moine de Saint-Gall.