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HISTOIRE DE FRANCE

étaient fort différentes des grandes migrations germaniques qui avaient eu lieu du quatrième au sixième siècle. Les barbares de cette première époque, qui occupèrent la rive gauche du Rhin, ou qui s’établirent en Angleterre, y ont laissé leur langue. La petite colonie des Saxons de Bayeux a gardé la sienne au moins cinq cents ans. Au contraire, les Northmen du neuvième et du dixième siècle ont adopté la langue des peuples chez lesquels ils s’établirent. Leurs rois, Rou, de Russie et de France (Ru-Rik, Rollon), n’ont point introduit dans leur patrie nouvelle l’idiome germanique. Cette différence essentielle entre les deux époques des invasions me porterait à croire que les premières, qui eurent lieu par terre, furent faites par des familles, par des guerriers suivis de leurs femmes et de leurs enfants ; moins mêlés aux vaincus par des mariages, ils purent mieux conserver la pureté de leur race et de leur langue. Les pirates de l’époque où nous sommes parvenus semblent avoir été le plus souvent des exilés, des bannis, qui se firent rois de la mer, parce que la terre leur manquait. Loups[1] furieux, que la famine avait chassés du gîte paternel[2], ils abordèrent seuls et sans famille[3] ; et lorsqu’ils furent soûls de pillage, lorsqu’à force de revenir annuellement, ils se furent fait une patrie de la terre qu’ils ravageaient, il fallut des Sabines à ces nouveaux

  1. Wargr, loup ; wargus, banni. Voy. Grimm.
  2. App. 176.
  3. La forme poétique de la tradition qui leur donne pour compagnes les Vierges au bouclier indique assez que ce fut une exception, et qu’ils avaient rarement des femmes avec eux.