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HISTOIRE DE FRANCE

pas une fois d’Alamut ni deux fois de sa chambre, n’en étendit pas moins sa domination sur la plupart des châteaux et lieux forts des montagnes entre la Caspienne et la Méditerranée. Ses assassins inspiraient un inexprimable effroi. Les princes, sommés de livrer leurs forteresses, n’osaient ni les céder ni les garder ; ils les démolissaient. Il n’y avait plus de sûreté pour les rois. Chacun d’eux pouvait voir à chaque instant du milieu de ses plus fidèles serviteurs s’élancer un meurtrier. Un sultan qui persécutait les Assassins voit le matin, à son réveil, un poignard planté en terre, à deux doigts de sa tête : il leur paya tribut, et les exempta de tout impôt, de tout péage.

Telle était la situation de l’islamisme : le califat de Bagdad, esclave sous une garde turque ; celui du Caire, se mourant de corruption ; celui de Cordoue, démembré et tombé en pièces. Une seule chose était forte et vivante dans le monde mahométan ; c’était cet horrible héroïsme des Assassins, puissance hideuse, plantée fermement sur la vieille montagne persane, en face du califat, comme le poignard près de la tête du sultan.

Combien le christianisme était plus vivant et plus jeune au moment des croisades ! Le pouvoir spirituel, esclave du temporel en Asie, le balançait, le primait en Europe ; il venait de se retremper par la chasteté monastique, par le célibat des prêtres. Le califat tombait, et la papauté s’élevait. Le mahométisme se divisait, le christianisme s’unissait. Le premier ne pouvait attendre qu’invasion et ruine ; et en effet il ne résista