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HISTOIRE DE FRANCE

Dès lors, l’infortuné mena une vie errante, et songea même, dit-on, à se réfugier en terre infidèle. Auparavant, il voulut pourtant se mesurer une fois avec le terrible adversaire qui le poursuivait partout de son zèle et de sa sainteté. À l’instigation d’Arnaldo de Brescia, il demanda à saint Bernard un duel logique par-devant le concile de Sens. Le roi, les comtes de Champagne et de Nevers, une foule d’évêques devaient assister et juger des coups. Saint Bernard y vint avec répugnance[1], sentant son infériorité. Mais les menaces du peuple et les cruelles inimitiés scholastiques le tirèrent d’affaire.

Abailard était condamné d’avance. On se borne à lui lire les passages incriminés extraits de ses livres par ses ennemis, au gré de leur haine. On ne lui laisse d’autre alternative que le désaveu ou la soumission. Entre ces seigneurs prévenus, ces docteurs inexorables, et le peuple ameuté dont il entend les clameurs au dehors, Abailard se trouble, s’irrite, s’égare ; il dénie la compétence du concile dont il avait sollicité la convocation et se contente d’en appeler au pape. Innocent II devait tout à saint Bernard, et il haïssait Abailard dans son disciple Arnaldo de Brescia, qui courait alors l’Italie et appelait les villes à la liberté. Il ordonna d’enfermer Abailard. Celui-ci l’avait prévenu en se réfugiant de lui-même au monastère de Cluny. L’abbé Pierre-le-Vénérable répondit d’Abailard ; il y mourut au bout de deux ans.

  1. App. 82.