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SUITE DE LA CROISADE. — LES COMMUNES

Telle fut la fin du restaurateur de la philosophie au moyen âge, fils de Pélage, père de Descartes, et Breton comme eux[1]. Sous un autre point de vue, il peut passer pour le précurseur de l’école humaine et sentimentale, qui s’est reproduite dans Fénelon et Rousseau. On sait que Bossuet, dans sa querelle avec Fénelon, lisait assidûment saint Bernard. Quant à Rousseau, pour le rapprocher d’Abailard, il faut considérer en celui-ci ses deux disciples, Arnaldo et Héloïse, le républicanisme et l’éloquence passionnée. Dans Arnaldo est le germe du Contrat social, et dans les lettres de l’ancienne Héloïse, on entrevoit la Nouvelle.

Il n’est pas de souvenir plus populaire en France que celui de l’amante d’Abailard. Ce peuple si oublieux, en qui la trace du moyen âge se trouve si complètement effacée ; ce peuple qui se souvient des dieux de la Grèce plus que de nos saints nationaux, il n’a pas oublié Héloïse. Il visite encore le gracieux monument qui réunit les deux époux[2], avec autant d’intérêt que si leur tombe eût été creusée d’hier. C’est la seule qui ait survécu de toutes nos légendes d’amour.

La chute de l’homme fit la grandeur de la femme : sans le malheur d’Abailard, Héloïse eût été ignorée ; elle fût restée obscure et dans l’ombre ; elle n’eût

  1. Jean de Salisbury explique parfaitement qu’après la dispersion de l’école d’Abailard et la victoire du mysticisme, plusieurs s’enterrèrent dans les cloîtres. D’autres, Jean lui-même, qui devint le client et l’ami du pape Adrien IV, se tournèrent vers le néant des cours (nugis curialibus). D’autres plus sérieux partirent pour Salerne ou Montpellier, où les croyants de la nature et de la science trouvaient un abri. Voy. Renaissance, Introduction.
  2. A Paris, au cimetière de l’Est.