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LOUIS-LE-JEUNE ET HENRI II (PLANTAGENET)

s’en moque ; il est fort, il est chicaneur, en sa qualité de Normand. Dans ce grand mystère du douzième siècle, le roi de France joue le personnage du bon Dieu, l’autre celui du Diable. Sa légende généalogique le fait remonter d’un côté à Robert-le-Diable, de l’autre à la fée Mélusine. « C’est l’usage dans notre famille, disait Richard Cœur-de-Lion, que les fils haïssent le père ; du diable nous venons, et nous retournons au diable[1]. » Patience, le roi du bon Dieu aura son tour. Il souffrira beaucoup sans doute ; il est né endurant : le roi d’Angleterre peut lui voler sa femme et ses provinces[2] ; mais il recouvrera tout un matin. Les griffes lui poussent sous son hermine. Le saint homme de roi sera tout à l’heure Philippe-Auguste ou Philippe-le-Bel.

Il y a dans cette pâle et médiocre figure une force immense qui doit se développer. C’est le roi de l’Église et de la bourgeoisie, le roi du peuple et de la loi. En ce sens il a le droit divin. Sa force n’éclate pas par l’héroïsme ; il grandit d’une végétation puissante, d’une progression continue, lente et fatale comme la nature. Expression générale d’une diversité immense, symbole d’une nation tout entière, plus il la représente, plus il semble insignifiant. La personnalité est faible en lui ; c’est moins un homme qu’une idée ; être impersonnel, il vit dans l’universalité, dans le peuple, dans l’Église, fille du peuple ; c’est un personnage profondément catholique dans le sens étymologique du mot.

  1. « De Diabolo venientes, et ad Diabolum transeuntes. »
  2. Il enleva à Louis VII sa femme Éléonore, le Poitou, la Guyenne, etc.