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HISTOIRE DE FRANCE

se hâter de retourner vers Damiette ; mais il ne pouvait s’y décider. Sans doute, le grand nombre de blessés qui se trouvaient dans le camp rendait la chose difficile ; mais les malades augmentaient chaque jour. Cette armée, campant sur les vases de l’Égypte, nourrie principalement des barbots du Nil, qui mangeaient tant de cadavres, avait contracté d’étranges et hideuses maladies. Leur chair gonflait, pourrissait autour de leurs gencives, et pour qu’ils avalassent, on était obligé de la leur couper ; ce n’était par tout le camp que des cris douloureux comme de femmes en mal d’enfant ; chaque jour augmentait le nombre des morts. Un jour, pendant l’épidémie, Joinville malade, et entendant la messe de son lit, fut obligé de se lever et de soutenir son aumônier prêt à s’évanouir. « Ainsi soutenu, il acheva son sacrement, parchanta la messe tout entièrement : ne oncques plus ne chanta. »

Ces morts faisaient horreur ; chacun craignait de les toucher et de leur donner la sépulture ; en vain le roi, plein de respect pour ces martyrs, donnait l’exemple et aidait à les enterrer de ses propres mains. Tant de corps abandonnés augmentaient le mal chaque jour ; il fallut songer à la retraite pour sauver au moins ce qui restait. Triste et incertaine retraite d’une armée amoindrie, affaiblie, découragée. Le roi, qui avait fini par être malade comme les autres, eût pu se mettre en sûreté, mais il ne voulut jamais abandonner son peuple[1]. Tout mourant qu’il était, il entreprit

  1. « Le roi de France eût pu échapper aux mains des Égyptiens, soit à cheval, soit dans un bateau ; mais ce prince généreux ne voulut jamais aban-