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ÉCLAIRCISSEMENTS

Chartres sont toutes les trois de longueur égale (244 pieds). La Sainte-Chapelle de Paris est haute de 110 pieds (110 : 10 = 11), longue de 110, large de 27 (3e puissance de 3)[1].


A qui appartenait cette science des nombres, cette mathématique sacrée ? Au clergé seul ? On l’a cru d’abord. Mais des travaux récents (Vitet, Église de Noyon, etc.) ont établi ce fait très important, que l’architecture ogivale, celle qu’on dit improprement gothique, est due tout entière aux laïques, au génie mystique des maçons. L’architecture romane, celle des prêtres, finit au douzième siècle.

Les maçons, cette vaste et obscure association partout répandue, eurent leurs loges principales à Cologne et à Strasbourg. Leur signe aussi ancien que la Germanie, c’était le marteau de Thor. Du marteau païen, sanctifié dans leurs mains chrétiennes, ils continuaient par le monde le grand ouvrage du Temple nouveau, renouvelé du Temple de Salomon. Avec quel soin ils ont travaillé, obscurs qu’ils étaient et perdus dans l’association, avec quelle abnégation d’eux-mêmes, il faut, pour le savoir, parcourir les parties les plus reculées, les plus inaccessibles des cathédrales. Élevez-vous dans ces déserts aériens, aux dernières pointes de ces flèches où le couvreur ne se hasarde qu’en tremblant, vous rencontrerez souvent, solitaires sous l’œil de Dieu, aux coups du vent éternel, quelque ouvrage délicat, quelque chef-d’œuvre d’art et de sculpture, où le pieux ouvrier a usé sa vie. Pas un nom, pas un signe, une lettre : il eût cru voler sa gloire à Dieu. Il a travaillé pour Dieu seul, pour le remède de son âme. Un nom qu’ils ont pourtant conservé par une gracieuse préférence, c’est celui d’une vierge qui travailla pour Notre-Dame de Strasbourg ; une partie des sculptures qui couronnent la prodigieuse flèche, y fut placée par sa faible main[2]. Ainsi dans la légende, le roc que tous les efforts des hommes n’avaient pu ébranler, roule sous le pied d’un enfant[3]. C’est aussi une vierge que la patronne des maçons, sainte Catherine, qu’on voit avec roue géométrique, sa rose mystérieuse, sur le plan de la

  1. Nous sommes revenus sur ce point de vue dans l’Introduction du volume sur la Renaissance.
  2. Sabine de Steinbach, fille d’Erwin de Steinbach qui commença les tours en 1277. (1833.) Il est établi maintenant que la flèche est de 1439. (1860.)
  3. C’est la légende du Mont Saint-Michel.