Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
TABLEAU DE LA FRANCE

des lycées et du baiser des mères, s’est brisée contre votre armée mercenaire, ménagée dans tous les combats, et gardée contre nous comme le poignard de miséricorde dont le soldat aux abois assassinait son vainqueur ?

Je ne tairai rien pourtant. Elle me semble bien grande, cette odieuse Angleterre, en face de l’Europe, en face de Dunkerque[1] et d’Anvers en ruines[2]. Tous les autres pays, Russie, Autriche, Italie, Espagne, France, ont leurs capitales à l’ouest et regardent au couchant ; le grand vaisseau européen semble flotter, la voile enflée du vent qui jadis souffla de l’Asie. L’Angleterre seule a la proue à l’est, comme pour braver le monde, unum omnia contra. Cette dernière terre du vieux continent est la terre héroïque, l’asile éternel des bannis, des hommes énergiques. Tous ceux qui ont jamais fui la servitude, druides poursuivis par Rome, Gaulois-Romains chassés par les barbares, Saxons proscrits par Charlemagne, Danois affamés, Normands avides, et l’industrialisme flamand persécuté, et le calvinisme vaincu, tous ont passé la mer, et pris pour patrie la grande île : Arva, beata petamus arva, divites et insulas… Ainsi l’Angleterre a engraissé

  1. Les magistrats de Dunkerque supplièrent vainement la reine Anne ; ils essayèrent de prouver que les Hollandais gagneraient plus que les Anglais à la démolition de leur ville. Il n’est point de lecture plus douloureuse et plus humiliante pour un Français. Cherbourg n’existait pas encore ; il ne resta plus un port militaire, d’Ostende à Brest.
  2. « J’ai là, disait Bonaparte, un pistolet chargé au cœur de l’Angleterre. » « La place d’Anvers, disait-il à Sainte-Hélène, est une des grandes causes pour lesquelles je suis ici : la cession d’Anvers est un des motifs qui m’avaient déterminé à ne pas signer la paix de Châtillon. »