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HISTOIRE DE FRANCE

Il était naturel que le relâchement s’introduisît parmi des moines guerriers, des cadets de la noblesse, qui couraient les aventures loin de la chrétienté, souvent loin des yeux de leurs chefs, entre les périls d’une guerre à mort et les tentations d’un climat brûlant, d’un pays d’esclaves, de la luxurieuse Syrie. L’orgueil et l’honneur les soutinrent tant qu’il y eut espoir pour la terre sainte. Sachons-leur gré d’avoir résisté si longtemps, lorsqu’à chaque croisade leur attente était si tristement déçue, lorsque toute prédiction mentait, que les miracles promis s’ajournaient toujours. Il n’y avait pas de semaine que la cloche de Jérusalem ne sonnât l’apparition des Arabes dans la plaine désolée. C’était toujours aux Templiers, aux Hospitaliers à monter à cheval, à sortir des murs… Enfin ils perdirent Jérusalem, puis Saint-Jean-d’Acre. Soldats délaissés, sentinelles perdues, faut-il s’étonner si, au soir de cette bataille de deux siècles, les bras leur tombèrent ?

La chute est grave après les grands efforts. L’âme montée si haut dans l’héroïsme et la sainteté tombe bien lourde en terre… Malade et aigrie, elle se plonge dans le mal avec une faim sauvage, comme pour se venger d’avoir cru.

Telle paraît avoir été la chute du Temple. Tout ce qu’il y avait eu de saint en l’ordre devint péché et souillure. Après avoir tendu de l’homme à Dieu, il tourna de Dieu à la bête[1]. Les pieuses agapes, les

  1. Sans parler de notre dicton populaire : « Boire comme un Templier »,