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HISTOIRE DE FRANCE

ment enlevé le libre arbitre, c’est-à-dire tout ce que l’homme peut avoir de bon. Qui perd le libre arbitre, perd tout bien, science, mémoire et intellect[1]… Pour les pousser au mensonge, au faux témoignage, on leur montrait des lettres où pendait le sceau du roi, et qui leur garantissaient la conservation de leurs membres, de la vie, de la liberté ; on promettait de pourvoir soigneusement à ce qu’ils eussent de bons revenus pour leur vie ; on leur assurait d’ailleurs que l’ordre était condamné sans remède… »

Quelque habitué que l’on fût alors à la violence des procédures inquisitoriales, à l’immoralité des moyens employés communément pour faire parler les accusés, il était impossible que de telles paroles ne soulevassent les cœurs ! Mais ce qui en disait plus que toutes les paroles, c’était le pitoyable aspect des prisonniers, leur face pâle et amaigrie, les traces hideuses des tortures… L’un d’eux, Humbert Dupuy, le quatorzième témoin, avait été torturé trois fois, retenu trente-six semaines au fond d’une tour infecte, au pain et à l’eau. Un autre avait été pendu par les parties génitales. Le chevalier Bernard Dugué (de Vado), dont on avait tenu les pieds devant un feu ardent, montrait deux os qui lui étaient tombés des talons.

C’étaient là de cruels spectacles. Les juges mêmes, tout légistes qu’ils étaient, et sous leur sèche robe de prêtre, étaient émus et souffraient. Combien plus le peuple, qui chaque jour voyait ces malheureux passer

  1. Dupuy.