Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
DESTRUCTION DE L’ORDRE DU TEMPLE

Ainsi l’ordre qui avait représenté au plus haut degré le génie symbolique du moyen âge mourut d’un symbole non compris[1]. Cet événement n’est qu’un épisode de la guerre éternelle que soutiennent l’un contre l’autre l’esprit et la lettre, la poésie et la prose. Rien n’est cruel, ingrat, comme la prose, au moment où elle méconnaît les vieilles et vénérables formes poétiques, dans lesquelles elle a grandi.


Le symbolisme occulte et suspect du Temple n’avait rien à espérer au moment où le symbolisme pontifical, jusque-là révéré du monde entier, était lui-même sans pouvoir. La poésie mystique de l’Unam sanctam, qui eût fait tressaillir tout le douzième siècle, ne disait plus rien aux contemporains de Pierre Flotte et de Nogaret. Ni la colombe, ni l’arche, ni la tunique sans couture, tous ces innocents symboles ne pouvaient plus défendre la papauté. Le glaive spirituel était émoussé. Un âge prosaïque et froid commençait, qui n’en sentait plus le tranchant[2].

Ce qu’il y a de tragique ici, c’est que l’Église est tuée par l’Église. Boniface est moins frappé par le gantelet de Colonna que par l’adhésion des gallicans à l’appel de Philippe-le-Bel. Le Temple est poursuivi par les inquisiteurs, aboli par le pape ; les dépositions les plus graves contre les Templiers sont celles des prêtres[3]. Nul doute que le pouvoir d’absoudre qu’usurpaient les

  1. App. 100.
  2. App. 101.
  3. Et aussi, je crois, des frères servants. La plupart des deux cents témoins interrogés par la commission pontificale sont qualifiés servants, servientes.