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HISTOIRE DE FRANCE

être en effet apostats. Ce reniement, plusieurs le déclarèrent, était symbolique ; c’était une imitation du reniement de saint Pierre, une de ces pieuses comédies dont l’Église antique entourait les actes les plus sérieux de la religion[1], mais dont la tradition commençait à se perdre au quatorzième siècle. Que cette cérémonie ait été quelquefois accomplie avec une légèreté coupable, ou même avec une dérision impie, c’était le crime de quelques-uns et non la règle de l’ordre.

Cette accusation est pourtant ce qui perdit le Temple. Ce ne fut pas seulement l’infamie des mœurs ; elle n’était pas générale[2]. Ce ne fut pas l’hérésie, les doctrines gnostiques ; vraisemblablement les chevaliers s’occupaient peu de dogme. La vraie cause de leur ruine, celle qui mit tout le peuple contre eux, qui ne leur laissa pas un défenseur parmi tant de familles nobles auxquelles ils appartenaient, ce fut cette monstrueuse accusation d’avoir renié et craché sur la croix. Cette accusation est justement celle qui fut avouée du plus grand nombre. La simple énonciation du fait éloignait d’eux tout le monde ; chacun se signait et ne voulait plus rien entendre.

  1. Un des témoins dépose que, comme il se refusait à renier Dieu et à cracher sur la croix, Raynaud de Brignolles, qui le recevait, lui dit en riant : « Sois tranquille, ce n’est qu’une farce : Non cures, quia non est nisi quædam trufa. » (Rayn.) Le précepteur d’Aquitaine, dans son importante déposition, que nous transcrirons en partie, nous a conservé, avec le récit d’une cérémonie de ce genre, une tradition sur son origine. App. 99.
  2. Pourtant mes études pour le deuxième volume du procès m’ont livré des actes accablants. C’étaient les mœurs de l’Église, prêtres et moines. Voy. le cartulaire de Saint-Bertin pour le onzième et le douzième siècle, Eudes Rigaud pour le treizième. (1860.)