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HISTOIRE DE FRANCE

fabuleuse. La culpabilité des juifs est improbable : ils étaient alors favorisés du roi, et l’usure leur fournissait une vengeance plus utile. Quant aux lépreux, le récit n’est pas si étrange que l’ont jugé les historiens modernes. De coupables folies pouvaient fort bien tomber dans l’esprit de ces tristes solitaires. L’accusation était du moins spécieuse. Les juifs et les lépreux avaient un trait commun aux yeux du peuple, leur saleté, leur vie à part. La maison du lépreux n’était pas moins mystérieuse et mal famée que celle du juif. L’esprit ombrageux de ces temps s’effarouchait de tout mystère, comme un enfant qui a peur la nuit et qui frappe d’autant plus fort ce qui lui tombe sous la main.

L’institution des léproseries, ladreries, maladreries, ce sale résidu des croisades, était mal vue, mal voulue, tout comme l’ordre du Temple, depuis qu’il n’y avait plus rien à faire pour la terre sainte. Les lépreux eux-mêmes, désormais sans doute négligés, avaient dû perdre la résignation religieuse qui, dans les siècles précédents, leur faisait prendre en bonne part la mort anticipée à laquelle on les condamnait ici-bas.

Les rituels pour la séquestration des lépreux différaient peu des offices des morts. Sur deux tréteaux devant l’autel, on tendait un drap noir, le lépreux dressé se tenait dessous agenouillé et y entendait dévotement la messe. Le prêtre, prenant un peu de terre dans son manteau, en jetait sur l’un des pieds du lépreux[1]. Puis il le mettait hors de l’église, s’il ne faisait trop fort

  1. App. 139.