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SUITE DU RÈGNE DE PHILIPPE-LE-BEL

temps de pluie ; il le menait à sa maisonnette au milieu des champs, et lui faisait les défenses : « Je te défends que tu n’entres en l’église… ne en compagnie de gens. Je te défends que tu ne voises hors de ta maison sans ton habit de ladre, etc. » Et ensuite : « Recevez cet habit, et le vestez en signe d’humilité… Prenez ces gants… Recevez cette cliquette en signe qu’il vous est défendu de parler aux personnes, etc. Vous ne vous fâcherez point pour être ainsi séparé des autres… Et quant à vos petites nécessités, les gens de bien y pourvoyront, et Dieu ne vous délaissera… » On lit encore dans un vieux rituel des lépreux ces tristes paroles : « Quand il avendra que le mesel sera trespassé de ce monde, il doit être enterré en la maisonnette, et non pas au cimetière[1]. »

D’abord on avait douté si les femmes pouvaient suivre leurs maris devenus lépreux, ou rester dans le siècle et se remarier. L’Église décida que le mariage était indissoluble ; elle donna à ces infortunés cette immense consolation. Mais alors que devenait la mort simulée ? que signifiait le linceul ? Ils vivaient, ils aimaient, ils se perpétuaient, ils formaient un peuple… Peuple misérable, il est vrai, envieux, et pourtant envié… Oisifs et inutiles, ils semblaient une charge, soit qu’ils mendiassent, soit qu’ils jouissent des riches fondations du siècle précédent.

On les crut volontiers coupables. Le roi ordonna

  1. Ce n’était point cependant un signe de réprobation. Mort au monde, il semblait avoir fait son purgatoire ici-bas ; et en quelques lieux on célébrait sur lui l’office du confesseur : « Os justi meditabitur sapientiam. »