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HISTOIRE DE FRANCE

Qu’on ne nous reproche pas comme une digression le peu que nous disons d’une Française qui inspira une si durable passion au plus grand poète du siècle. L’histoire des mœurs est surtout celle de la femme. Nous avons parlé d’Héloïse et de Béatrix. Laure n’est pas, comme Héloïse, la femme qui aime et se donne. Ce n’est point la Béatrix de Dante, dans laquelle l’idéal domine et qui finit par se confondre avec l’éternelle beauté. Elle ne meurt pas jeune ; elle n’a pas la glorieuse transfiguration de la mort. Elle accomplit toute sa destinée sur la terre. Elle est épouse, elle est mère, elle vieillit, toujours adorée[1]. Une passion si fidèle et si désintéressée à cette époque de sensualité grossière, méritait bien de rester parmi les plus touchants souvenirs du quatorzième siècle. On aime à voir dans ces temps de mort une âme vivante, un amour vrai et pur, qui suffit à une inspiration de trente années. On rajeunit, à regarder cette belle et immortelle jeunesse d’âme.

Il la vit pour la dernière fois en septembre 1347. C’était au milieu d’un cercle de femmes. Elle était sérieuse et pensive, sans perles, sans guirlandes. Tout était déjà plein de la terreur de la contagion. Le poète, ému, se retira, pour ne pas pleurer… La nouvelle de sa mort lui parvint, l’année suivante, à Vérone. Il y écrivit la note touchante qu’on lit encore sur son Virgile. Il y remarque qu’elle est morte au même mois, au même jour et à la même heure, où il

  1. App. 185.