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BATAILLE DE POITIERS

homme du Midi, adroit et avide, Charles d’Espagne, pour qui il avait « un amour désordonné[1] ». Le favori se fait connétable, et se fait encore donner un comté qui appartenait au jeune roi de Navarre, Charles, que Jean avait déjà dépouillé de la Champagne[2]. Charles, descendu d’une fille de Louis-Hutin, se croyait, comme Édouard III, dépouillé de la couronne de France. Il assassina le favori, et voulait tuer Jean. Celui-ci l’emprisonna, lui fit demander pardon à genoux. Cet homme flétri sera le démon de la France. Il est surnommé le Mauvais. Jean tue le connétable, tue d’Harcourt et d’autres encore ; au demeurant, c’est Jean-le-Bon.

Le bon veut dire ici le confiant, l’étourdi, le prodigue. Nul prince en effet n’avait encore si noblement jeté l’argent du peuple. Il allait, comme l’homme de Rabelais, mangeant son raisin en verjus, son blé en herbe. Il faisait argent de tout, gâtant le présent, engageant l’avenir. On eût dit qu’il prévoyait ne devoir pas rester longtemps en France.

Sa grande ressource était l’altération des monnaies[3]. Philippe-le-Bel et ses fils, Philippe-de-Valois, avaient usé largement de cette forme de banqueroute. Jean les fit oublier, comme il surpassa aussi toute banqueroute royale ou nationale qui pût jamais venir. On croit rêver quand on lit les brusques et contradictoires

  1. C’était, dit Villani, le bruit public.
  2. Charles avait aussi à se plaindre de l’insolence du connétable, qui l’avait appelé billonneur monnoie (faux monnoyeur).
  3. « Sur plusieurs de ces monnoies, le roi d’Angleterre était représenté sous forme de lion ou de dragon, foulé par le roi de France. » (Leblanc.)