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BATAILLE DE POITIERS

de France : — « Et je me rends à vous. » Et lui bailla son destre gand. Le chevalier le prit qui en eut grand’joie. Là eut grand’presse et grand tireis entour le roi : car chacuns s’efforçoit de dire : « Je l’ai pris, je l’ai pris. » Et ne pouvoit le roi aller avant, ni messire Philippe son maisné (jeune) fils[1]. »

Le prince de Galles fit honneur à cette fortune inouïe qui lui avait mis entre les mains un tel gage. Il se garda bien de ne pas traiter son captif en roi, ce fut pour lui le vrai roi de France, et non Jean-de-Valois, comme les Anglais l’appelaient jusqu’alors. Il lui importait trop qu’il fût roi en effet, pour que le royaume parût pris lui-même en son roi, et se ruinât pour le racheter. Il servit Jean à table après la bataille. Quand il fit son entrée à Londres, il le mit sur un grand cheval blanc (signe de suzeraineté), tandis qu’il le suivait lui-même sur une petite haquenée noire.

Les Anglais ne furent pas moins courtois pour les autres prisonniers. Ils en avaient deux fois plus qu’ils n’étaient d’hommes pour les garder. Ils les renvoyèrent pour la plupart sur parole, leur faisant promettre de venir payer aux fêtes de Noël les rançons énormes auxquelles ils les taxaient. Ceux-ci étaient trop bons chevaliers pour y manquer. Dans cette guerre entre gentilshommes, le pis qui pût arriver au vaincu était d’aller prendre sa part des fêtes des vainqueurs, d’aller chasser, joûter en Angleterre, de jouir bonnement de l’insolente courtoisie des Anglais[2], noble guerre, sans doute, qui n’écrasait que le vilain.

  1. Froissart.
  2. App. 194.