Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
HISTOIRE DE FRANCE

Si Charles V ne put faire beaucoup lui-même, il laissa du moins à la France le type du roi moderne, qu’elle ne connaissait pas. Il enseigna aux étourdis de Créci et de Poitiers ce que c’était que réflexion, patience, persévérance. L’éducation devait être longue ; il y fallut bien des leçons. Mais au moins le but était marqué. La France devait s’y acheminer, lentement, il est vrai, par Louis XI et par Henri IV, par Richelieu et par Colbert.

Dans les misères du quatorzième siècle, elle commença à se mieux connaître elle-même. Elle sut d’abord qu’elle n’était pas et ne voulait pas être anglaise. En même temps, elle perdait quelque chose du caractère religieux et chevaleresque qui l’avait confondue avec le reste de la chrétienté pendant tout le moyen âge, et elle se voyait, pour la première fois, comme nation et comme prose. Elle atteignait du premier coup, dans Froissart, la perfection de la prose narrative[1]. Le progrès de la langue est immense de Joinville à Froissart, presque nul de Froissart à Comines.

Froissart, c’est vraiment la France d’alors, au fond toute prosaïque, mais chevaleresque de forme et gracieuse d’allure. Le galant chapelain qui desservit madame Philippa de beaux récits et de lais d’amour nous conte son histoire aussi nonchalamment qu’il chantait sa messe. D’amis ou d’ennemis, d’Anglais ou de Français, de bien ou de mal, le conteur ne

  1. App. 274.