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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/16

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HISTOIRE DE FRANCE

ami, un maître et, de tous, le plus doux. Une gracieuse lutte s’engage, une aimable et pacifique guerre entre l’extrême faiblesse et la force infinie, qui n’est plus que la bonté. On suit avec émotion toutes les alternatives de cette belle gymnastique religieuse : l’âme tombe, elle se relève, elle retombe, elle pleure. Lui, il la console : « Je suis là, dit-il, pour t’aider toujours, et plus encore qu’auparavant, si tu te confies en moi… Courage ! Tout n’est pas perdu… Tu te sens souvent troublé, tenté ; eh bien, c’est que tu es homme et non pas Dieu, Tu es chair et non pas ange[1]. Comment pourrais-tu toujours demeurer en même vertu ? l’ange ne l’a pu au ciel, ni le premier homme au paradis… »

Cette intelligence compatissante de nos faiblesses et de nos chutes indique assez que ce grand livre a été achevé lorsque le christianisme avait longtemps vécu, lorsqu’il avait acquis l’expérience, l’indulgence infinie. On y sent partout une maturité puissante, une douce et riche saveur d’automne ; il n’y a plus là les âcretés de la jeune passion. Il faut, pour en être venu à ce point, avoir aimé bien des fois, désaimé, puis aimé encore. C’est l’amour se sachant lui-même et goûtant profondément cette science, l’amour harmonisé qui ne périra plus par folie d’amour.

Je ne sais si le premier amour est le plus ardent ; mais le plus grand, à coup sûr, le plus profond, c’est le dernier. On a vu souvent que, vers le milieu de la

  1. Homo es, et non Deus,
    Caro es, non Angelus.

    (Imitatio, lib. III.)