de ses vives eaux, ces torrents de jeunesse qui coulent éternellement des sources de l’Iliade !
Mais on ne sait plus aujourd’hui les sueurs, les veilles inquiètes que coûtèrent aux grands imprimeurs ces premières publications des manuscrits difficiles, discordants, de l’antiquité. Œuvre sainte ! Ceux qui y mirent les premiers la main furent saisis d’une émotion religieuse et d’une anxiété immense. Tels ils allaient les rendre au monde, ces dieux de la pensée, tels il les garderait. Imprimeurs, correcteurs, éditeurs, ils ne dormaient plus (l’un d’eux trois heures par nuit) ; ils demandaient à Dieu de réussir, et leur travail était mêlé de prières. Ils sentaient qu’en ces lettres de plomb, viles et ternes, était la Jouvence du monde, le trésor d’immortalité.
La Rome et la Jérusalem de cette religion nouvelle, l’imprimerie, sont bien moins Mayence et Strasbourg que Venise, Bâle et Paris. Les premières n’ont fait qu’imprimer. Paris, Bâle et Venise ont édité, avec des travaux infinis d’épuration, correction, critique, discussion des textes et variantes, les bibles épineuses de la philosophie, je veux dire l’œuvre immense de Platon, si délicate de finesse, de grâce et de dialectique, où l’accent, la virgule change tout, détruit tout, rend l’intelligence impossible ; — l’œuvre encore bien plus gigantesque d’Aristote, formidable encyclopédie de l’antiquité, écrite dans une langue algébrique, tellement concise et abstraite ! On avait bavardé infiniment sur Aristote et Platon, on les avait traduits faiblement, peu fidèlement. Tout cela n’était rien