Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/250

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du juste donna une assiette d’airain au cœur agité de l’homme, il lui dit : « Va paisible, que t’importe ? Quoi qu’il t’arrive, mort, vainqueur, je suis avec toi ! »

Et qu’est-ce que la Bastille faisait à ce peuple ? Les hommes du peuple n’y entrèrent presque jamais… Mais la justice lui parlait, et une voix qui plus fortement encore parle au cœur, la voix de l’humanité et de la miséricorde, cette voix douce qui semble faible et qui renverse les tours, déjà, depuis dix ans, elle faisait chanceler la Bastille.

Il faut dire vrai ; si quelqu’un eut la gloire de la renverser, c’est cette femme intrépide qui si longtemps travailla à la délivrance de Latude contre toutes les puissances du monde. La royauté refusa, la nation arracha la grâce ; cette femme, ou ce héros, fut couronnée dans une solennité publique. Couronner celle qui avait pour ainsi dire forcé les prisons d’État, c’était déjà les flétrir, les vouer à l’exécration publique, les démolir dans le cœur et dans le désir des hommes… Cette femme avait pris la Bastille.

Depuis ce temps, le peuple de la ville et du faubourg, qui sans cesse, dans ce lieu si fréquenté, passait, repassait dans son ombre[1], ne manquait pas de la maudire. Elle méritait bien cette haine. Il y avait bien d’autres prisons, mais celle-ci, c’était celle de l’arbitraire capricieux, du despotisme fantasque, de l’inquisition ecclésiastique et bureaucratique. La

  1. Elle écrasait la rue Saint-Antoine, dit si bien Linguet, p. 147. Les vainqueurs les plus connus de la Bastille sont ou du faubourg, ou du quartier de Saint-Paul, de la Culture-Sainte-Catherine.