Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/26

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fait la vue à voir parmi ces ombres, et elles me connaissaient, je crois. Elles me voyaient seul avec elles dans ces galeries, dans ces vastes dépôts, rarement visités. Je trouvais quelquefois le signet à la page où Chaumette ou tel autre le mit au dernier jour. Telle phrase, dans le rude registre des Cordeliers, ne s’est pas achevée, coupée brusquement par la mort. La poussière du temps reste. Il est bon de la respirer, d’aller, venir, à travers ces papiers, ces dossiers, ces registres. Ils ne sont pas muets, et tout cela n’est pas si mort qu’il semble. Je n’y touchais jamais sans que certaine chose en sortît, s’éveillât… C’est l’âme.

En vérité, je méritais cela. Je n’étais pas auteur. J’étais à cent lieues de penser au public, au succès : j’aimais, et voilà tout. J’allais ici et là, acharné et avide ; j’aspirais, j’écrivais cette âme tragique du passé.

Cela fut fort senti, et d’hommes de nuances diverses : Béranger, Ledru-Rollin, Proudhon.

Béranger avait eu contre moi des préventions, et il en revint tout à fait. Il dit de cette histoire : « Pour moi, c’est livre saint. »

Proudhon savait combien je goûtais peu la plupart de ses paradoxes ; c’est de lui cependant