Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/418

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Il y avait, au 5 octobre, une foule de malheureuses créatures qui n’avaient pas mangé depuis trente heures[1]. Ce spectacle douloureux brisait les cœurs et personne n’y faisait rien ; chacun se renfermait en déplorant la dureté des temps. Le dimanche 4, au soir, une femme courageuse, qui ne pouvait voir cela plus longtemps, court du quartier Saint-Denis au Palais-Royal, elle se fait jour dans la foule bruyante qui pérorait, elle se fait écouter ; c’était une femme de trente-six ans, bien mise, honnête, mais forte et hardie. Elle veut qu’on aille à Versailles, elle marchera à la tête. On plaisante, elle applique un soufflet à l’un des plaisants. Le lendemain, elle partit des premières, le sabre à la main, prit un canon à la Ville, se mit à cheval dessus et le mena à Versailles, la mèche allumée.

Parmi les métiers perdus qui semblaient périr avec l’Ancien-Régime se trouvait celui de sculpteur en bois. On travaillait beaucoup en ce genre, et pour les églises, et pour les appartements. Beaucoup de femmes sculptaient. L’une d’elles, Madeleine Chabry, ne faisant plus rien, s’était établie bouquetière au quartier du Palais-Royal, sous le nom de Louison ; c’était une fille de dix-sept ans, jolie et spirituelle. On peut parier hardiment que ce ne fut pas la faim qui mena celle-ci à Versailles. Elle

  1. Voir les dépositions des témoins (Moniteur, I, 568, colonne 2.) C’est la source principale. Une autre, très importante, riche en détails et que tout le monde copie sans la citer, c’est l’Histoire des deux amis de la liberté, t. III.