Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/51

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noblesse ; l’injuste transmission du mal, par le péché originel ou la flétrissure civile des descendants du coupable. La Révolution les efface.

Est-ce là, hommes de ce temps, ce que vous taxez d’individualisme, ce que vous appelez un droit égoïste ?… Mais songez donc que, sans ce droit de l’individu qui seul l’a constitué, l’homme n’était pas, n’agissait pas, donc ne pouvait fraterniser. Il fallait bien abolir la fraternité de la mort, pour fonder celle de la vie.

Ne parlez pas d’égoïsme. L’histoire répondrait ici, tout autant que la logique. C’est au premier moment de la Révolution, au moment où elle proclame le droit de l’individu, c’est alors que l’âme de la France, loin de se resserrer, s’étend, embrasse le monde entier d’une pensée sympathique, alors qu’elle offre à tous la paix, veut mettre en commun entre tous son trésor, la Liberté.

Il semble que le moment de la naissance, l’entrée d’une vie douteuse encore est pour tout être celui d’un légitime égoïsme ; le nouveau-né, nous le voyons, veut durer, vivre, avant tout… Ici il n’en fut pas de même. La jeune liberté française, lorsqu’elle ouvrit les yeux au jour, lorsqu’elle dit le premier mot qui ravit toute créature nouvelle : « Je suis ! » eh bien, alors même, sa pensée ne fut point limitée au moi, elle ne s’enferma pas dans une joie personnelle, elle étendit au genre humain sa vie et son espérance ; le premier mouvement qu’elle fit dans son berceau, ce fut d’ouvrir des bras fraternels.