Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/179

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Moi, qui cherche ma foi ailleurs et qui regarde au Levant, je n’ai pu voir cependant sans une émotion profonde ces hommes d’un autre âge qui s’éteignent en silence. Oubliés de tous, excepté de l’autorité pagano-chrétienne, qui exerce sur eux, à l’insu du monde, la plus lâche persécution[1], ils mourront dans le respect. J’ai eu lieu de les éprouver. Un jour que j’allais rencontrer dans mon enseignement leurs grands hommes de Port-Royal, j’exprimai l’intention de dire enfin ma pensée et de décharger mon cœur, de dire qu’alors et aujourd’hui, en ceux-ci comme en Port-Royal, c’était le paganisme qui persécutait le christianisme. Ils me prièrent de n’en rien faire (qu’ils me pardonnent ici de violer leur secret) : « Non, Monsieur, il est des situations où il faut savoir mourir en silence. » — Et, comme j’insistais avec sympathie, ils m’avouèrent, naïvement que, selon leur opinion, ils n’avaient pas longtemps à souffrir, que le grand jour, le dernier jour qui jugera les hommes et les doctrines, ne pouvait tarder, le jour où le monde doit commencer de vivre, cesser de mourir… Celui qui, de leur part, me disait ces choses étranges était un jeune homme austère, pâle, vieilli avant l’âge, qui ne voulut pas dire son nom et que je n’ai point revu. Cette apparition m’est restée comme un noble adieu du passé. Je crus

  1. Persécution vraiment lâche, qui se prend surtout aux femmes, aux dernières sœurs jansénistes, les fait mourir à petit feu.

    Lâche aussi dans son acharnement sur l’église de Saint-Séverin ; on ne l’a pas démolie, comme Port-Royal, mais transformée, livrée au paganisme du Sacré-Cœur, périodiquement salie de prédications jésuitiques.