Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/108

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setés, les lâchetés, les bassesses, la comédie des constitutionnels, les tergiversations, l’indécision des amis de la liberté. Elle ne ménage nullement ni Brissot, qu’elle aime, mais qu’elle trouve timide et léger, ni Condorcet, qu’elle croit double, ni Fauchet, dans lequel « elle voit bien qu’il y a un prêtre ». À peine fait-elle grâce à Pétion et Robespierre ; encore on voit bien que leurs lenteurs, leurs ménagements, vont peu à son impatience. Jeune, ardente, forte, sévère, elle leur demande compte à tous, ne veut pas entendre parler de délais, d’obstacles ; elle les somme d’être hommes et d’agir.

Au triste spectacle de la liberté entrevue, espérée, déjà perdue, selon elle, elle voudrait retourner à Lyon, « elle verse des larmes de sang… Il nous faudra, dit-elle (le 5 mai), une nouvelle insurrection, ou nous sommes perdus pour le bonheur et la liberté ; mais je doute qu’il y ait assez de vigueur dans le peuple… La guerre civile même, tout horrible qu’elle soit, avancerait la régénération de notre caractère et de nos mœurs… — Il faut être prêt à tout, même à mourir sans regret. »

La génération dont Madame Roland désespère si aisément avait des dons admirables, la foi au progrès, le désir sincère du bonheur des hommes, l’amour ardent du bien public ; elle a étonné le monde par la grandeur des sacrifices. Cependant il faut le dire, à cette époque où la situation ne commandait pas encore avec une force impérieuse, ces caractères, formés sous l’Ancien-Régime, ne s’an-