Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/22

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peur de tomber en république ; mais l’on y était.

Des groupes avaient menacé La Fayette, à la Grève, l’accusant de complicité. Il les calma d’un seul mot : « Nous sommes vingt-quatre millions d’hommes ; le roi coûtait vingt-quatre millions ; c’est juste vingt sols de rentes que chacun gagne à son départ. »

Camille Desmoulins rapporte qu’une motion fut faite au Palais-Royal (et sans doute c’est lui qui la fit sur son théâtre ordinaire) : « Messieurs, il serait malheureux que cet homme perfide nous fût ramené ; qu’en ferions-nous ? Il viendrait, comme Thersite, nous verser ces larmes grasses dont parle Homère. Si on le ramène, je fais la motion qu’on l’expose trois jours à la risée publique, le mouchoir rouge sur la tête ; qu’on le conduise ensuite par étapes jusqu’aux frontières, et qu’arrivé là », etc.

Cette folie était peut-être ce qu’il y avait de plus sage. Si Louis XVI était dangereux dans les armées étrangères, il l’était bien plus encore captif, accusé et jugé, devenant pour tous un objet d’intérêt et de pitié. La sagesse était ici dans les paroles de l’enfant ; je parle ainsi de Camille. Le plus grand péril pour la France était de réhabiliter par l’excès de l’infortune, de rendre à celui qui lui-même s’ôtait la couronne le sacre de la persécution. On le trouvait avili, dégradé par son mensonge, il fallait le laisser tel. Plutôt que de le punir, on devait l’abandonner comme incapable et simple d’esprit ; c’est ce que dit Danton aux Jacobins : « Le déclarer imbécile, au nom de l’humanité. »