Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

revanche, c’était le plus furieux. Il était très beau, d’une molle figure de femme, et il faisait peur. Bouleversé à chaque instant par son orage intérieur, on reconnaissait en lui un homme tragique et fatal, un de ceux qu’une violence innée semble vouer aux furies. Cruel par accès, il ne portait pas le signe ignoble de la barbarie ; sa tête avait plutôt la beauté des Euménides.

Mainvielle n’exprimait que trop la jeunesse d’Avignon. Fils d’un riche marchand de soie, nourri dans les mœurs galantes et féroces de son étrange pays, il avait, pour achever de brouiller son âme trouble, deux amours, tous deux adultères, la femme de son ami Duprat, et la Révolution française, dont il fut l’un des plus funestes, des plus illégitimes amants. Du moins, il mourut pour elle, avec un bonheur frénétique, le jour où périt la Gironde. Dans ce temps où tout le monde mourait en héros, il effraya l’assistance par la sauvage ardeur dont il chanta la Marseillaise sur la guillotine et sous le couteau.

Tels furent les trois audacieux qui, sans ressources, n’ayant ni finances ni armée, entreprirent de conquérir le Comtat au profit de la France. Ils appelaient le ban et l’arrière-ban des proscrits du parti français qui de toute la province refluaient vers Avignon, et ils réunirent jusqu’à six mille hommes. D’argent ils n’eurent que celui qu’ils avaient pu tirer de l’argenterie des couvents. Si Lescuyer et les autres qui réglaient le matériel parvinrent à leur équiper