Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la porte des prisons pour que personne ne pût y monter.

Cependant une odeur affreuse commençait à s’élever des profondeurs de la Glacière. Elle indiquait assez la décomposition rapide des tristes débris. Une seule des victimes respirait peut-être encore, le portefaix Rey, qui fut si dur à mourir. Jourdan, le mardi 18, sans s’occuper d’éclaircir qui était mort ou en vie, fit jeter par le trou au fond de la tour, sur cette montagne de chair, plusieurs baquets de chaux vive.

On eut beau verser partout des torrents d’eau pour laver les traces ; jamais on ne put faire disparaître l’horrible traînée de sang qui marque encore les arêtes du mur intérieur de la tour ; chaque corps lancé par le trou avait frappé là et laissé sa trace, sa réclamation éternelle. Le sang resta pour témoigner. — Et, non loin, reste de même, dans ce lugubre palais, la trace des forfaits, plus anciens, que l’aveugle fureur révolutionnaire crut venger par un forfait : c’est la noire et dégoûtante suie du bûcher pyramidal que l’Inquisition si longtemps engraissa de chair humaine.

Pourquoi me suis-je longuement arrêté, malgré l’horreur et le dégoût, sur cette abominable histoire ? Hélas ! je l’ai déjà dit, c’est qu’elle est un commencement. L’atrocité même du crime, l’ébranlement qu’en reçurent les imaginations, le rendirent contagieux. Les soixante victimes d’Avignon remuèrent tous les esprits, que les trois cents morts de Nîmes