Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/35

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de trois heures et demie jusqu’à cinq, il passa ce temps chez Pétion, qui demeurait tout près, au faubourg Saint-Honoré, et là déchargea son âme, exprima librement tout son rêve de terreur. L’Assemblée était complice de la Cour, complice de La Fayette ; ils allaient faire une Saint-Barthélémy des patriotes, des meilleurs citoyens, de ceux qu’on craignait le plus. Pour lui, il sentait bien qu’il était perdu, qu’il ne vivrait pas vingt-quatre heures…

Le croyait-il ? Pas tout à fait. La chose était trop peu vraisemblable. Ce moment de la Révolution n’était nullement sanguinaire ; La Fayette ne l’était pas, ni les hommes influents d’alors. L’eussent-ils été, il était facile, dans l’état de désorganisation où était la police, de se cacher dans Paris. Robespierre avait peur sans doute, mais il exagérait sa peur. Pétion l’écoutait assez froidement. Les deux hommes différaient trop pour agir beaucoup l’un sur l’autre. Robespierre, nerveux, sec et pâle, et plus pâle encore ce jour-là. Pétion, grand, gros, rose et blond, flegmatique et apathique. Il interprétait les choses d’une façon toute contraire, selon son tempérament : « L’événement est plutôt heureux, disait-il ; maintenant on connaît le roi. » Le journaliste Brissot, qui était venu chercher des nouvelles, parla aussi dans ce sens : « Soyez sûr, dit-il avec son air imaginatif et crédule, que La Fayette aura favorisé l’évasion du roi pour nous donner la république. Je vais, outre le Patriote, écrire dans un nouveau journal, le Républicain. » Robespierre, se rongeant les ongles, deman-