Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/408

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sort en devait décider. Dumouriez n’avait nul principe. Si brave et si militaire, il avait pourtant, à un degré singulièrement faible, le sentiment de l’honneur. Il faut l’en croire dans ses Mémoires. Il affirme, sans embarras, sans honte et sans vanterie, simplement et comme étranger à toute notion morale, qu’il présenta au ministre Choiseul deux projets relativement aux Corses, un projet pour les délivrer, un autre pour les asservir. Le dernier fut préféré, et Dumouriez se battit bravement dans ce dernier but. En 1789, de même. « J’avais envoyé, dit-il, un projet excellent pour empêcher qu’on ne prît jamais la Bastille ; mais il arriva trop tard. »

En 1792, porté au ministère par les ennemis du roi, il se trouva tout de suite favorable au roi et secrètement pour lui. Ce n’était pas seulement habitudes monarchiques, indifférence aux principes ; c’était aussi, il faut le dire, générosité. Le roi, la reine, enfermés dans cette prison des Tuileries, étaient en danger, malheureux. Dumouriez, généralement peu touché des idées, l’était beaucoup plus des personnes. Il était humain et sensible à la pitié. Il faut lire dans ses Mémoires la touchante scène où, trouvant la reine d’avance irritée contre lui, il la ramena moins encore par sa fermeté que par son attendrissement.

N’oublions pas toutefois, en lisant ces piquants, ces admirables Mémoires, qu’ils sont quelque peu suspects. Ils ont été écrits par lui lorsque, réfugié en terre étrangère, au milieu des émigrés, parmi ceux