Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/48

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d’armes, arrivaient chargés de fusils, de sabres et de piques, de fourches et de faux : ils partaient de loin pour tuer ; de près, ils injuriaient, ils soulageaient leur colère, criaient aux lâches et aux traîtres, suivaient quelque temps, retournaient. D’autres venaient, et toujours d’autres, infatigablement, et ceux-ci non moins ardents, entiers de force et de fureurs. Ils criaient, séchaient leurs gosiers, buvaient pour crier encore. Une âpre chaleur de juin exaltait les têtes, le soleil brûlait d’aplomb, poudroyait sur la blanche route, la soulevait en nuages, à travers des forêts de baïonnettes et d’épis. Maigres épis, pauvre moisson de Champagne pouilleuse ; la vue même de cette moisson si péniblement amenée à bien ne contribuait pas peu à augmenter la fureur des paysans ; c’était justement ce moment que le roi avait choisi pour aller chercher l’ennemi, amener sur nos champs les hussards et les pandours, la cavalerie voleuse, mangeuse, outrageuse, gâcher la vie de la France aux pieds des chevaux, assurer la famine pour l’année et l’année prochaine…

Ce fut là le vrai procès de Louis XVI, plus qu’au 21 janvier. Il entendit, quatre jours de suite, de la bouche de tout le peuple, son accusation, sa condamnation. Le sentiment filial de ce peuple, si cruellement trompé, s’était tourné en fureur, et la fureur, exhalée en cris, s’exprimait aussi en reproches d’une accablante vérité, en mois terribles qui tombaient sur la coupable voiture comme d’impitoyables traits de la justice elle-même.