Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/47

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neutralisée par le peuple. Près de Châlons déjà, Choiseul ne peut soutenir le regard de cette foule pénétrante qui le surveille et le devine ; malgré les bois, malgré la nuit, l’œil du peuple le suit, le voit ; partout, de village en village, il entend sonner le tocsin. L’officier de Sainte-Menehould, celui de Clermont, sont annulés, paralysés par cette inquiète surveillance. Celui de Varennes s’enfuit, et le jeune Bouillé, menacé, ne peut commander à sa place. Bouillé lui-même ne peut venir au-devant, n’étant sûr ni de ses troupes, ni des garnisons voisines, voyant la campagne en armes. Un fait plus grave encore peut-être, et que nous avions omis, c’est que partout, dans leurs logements, les soldats s’apercevaient que leurs hôtes, pendant leur sommeil, leur enlevaient les cartouches ; les soldats du roi dormaient, le peuple ne dormait pas.

Cette unanimité terrible parut bien plus au retour. De Varennes jusqu’à Paris, dans une route de cinquante lieues, route infiniment lente, qui dura quatre jours entiers, le roi, dans sa voiture, se vit constamment entouré d’une masse compacte de peuple ; la lourde berline nageait dans une épaisse mer d’hommes et fendait à peine les flots. C’était comme une inondation de toutes les campagnes voisines qui, tour à tour, sur la route, lançaient des vagues vivantes à cette malheureuse voiture, vagues furieuses, aboyantes, qui semblaient près d’abîmer tout et pourtant se brisaient là. Ces hommes s’armaient jusqu’aux dents de tout ce qu’ils avaient