Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/55

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lui volât ce que, dans son excessive présomption, il croyait déjà à lui.

La reine était trop altière pour se dire nettement tout cela, comme je vous le dis ici ; mais elle n’en vit pas moins tout ce qu’il fallait en voir. Elle saisit, sans affectation, la première occasion naturelle pour nommer les trois gardes du corps. Barnave vit qu’il s’était trompé, que Fersen n’était pas là. Voilà un homme tout changé ; la tête baisse, le ton devient doux, respectueux ; il se sent coupable, il n’est plus occupé que d’expier, à force d’égards, son impertinence. Cela semblait difficile, la reine ne daignant lui adresser la parole.

Barnave ne pouvait agir que fort indirectement. Placé en face de la reine, il était en face aussi de la très froide figure de son collègue Pétion, qui, à la vérité, connaissait trop peu le monde et les passions pour rien voir de tout ceci. Pétion, essentiellement lourd et gauche[1], avait adressé je ne sais quel mot peu convenable à Madame Élisabeth, qui, toute simple qu’elle paraissait, l’avait fort bien relevé. Puis, pour raccommoder la chose, il avait justement touché le point où la jeune princesse était le plus vulnérable, la foi, la religion, répétant contre le christianisme je ne sais quelle banalité philosophique. Émue, la pauvre princesse, contre son habi-

  1. Ce qui ajoute au caractère de Pétion un ridicule ineffaçable, c’est qu’il croit (dans le Mémoire inédit qu’il a laissé sur le voyage de Varennes) que Madame Élisabeth, assise près de lui le second jour et s’appuyant involontairement sur lui dans cette extrême fatigue, était amoureuse de lui, enfin, pour parler le langage sensualiste du temps, « qu’elle cédait à la nature ».