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dinaires, d’admirables sacrifices, des foules d’hommes qui donnaient leurs vies ; et pourtant, toutes les fois que je me retire du présent, que je retourne au passé, à l’histoire de la Révolution, j’y trouve bien plus de chaleur ; la température est tout autre. Quoi ! le globe aurait-il donc refroidi depuis ce temps ?

Des hommes de ce temps-là m’avaient dit la différence, et je n’avais pas compris. À la longue, à mesure que j’entrais dans le détail, n’étudiant pas seulement la mécanique législative, mais le mouvement des partis, non seulement les partis, mais les hommes, les personnes, les biographies individuelles, j’ai bien senti alors la parole des vieillards.

La différence des deux temps se résume d’un mot : On aimait.

L’intérêt, l’ambition, les passions éternelles de l’homme, étaient en jeu comme aujourd’hui ; mais la part la plus forte encore était celle de l’amour. Prenez ce mot dans tous les sens, l’amour de l’idée, l’amour de la femme, l’amour de la patrie et du genre humain. Ils aimèrent et le beau qui passe et le beau qui ne passe point : deux sentiments mêlés alors, comme l’or et le bronze fondus dans l’airain de Corinthe[1].

  1. À mesure qu’on entrera dans une analyse plus sérieuse de l’histoire de ces temps, on découvrira la part souvent secrète, mais immense, que le cœur a eue dans la destinée des hommes d’alors, quel que fût leur caractère. Pas un d’eux ne fait exception, depuis Necker jusqu’à Robespierre. Cette génération raisonneuse atteste toujours les idées, mais les affections la gouvernent avec tout autant de puissance. L’exemple le moins contestable où ce carac-