Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/114

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buvaient au roi, aux Prussiens, à la prochaine délivrance. Leurs maîtresses venaient les voir, manger avec eux. Les geôliers, devenus valets de chambre et commissionnaires, allaient et venaient pour leurs nobles maîtres, portaient, montraient, devant tout le monde, les vins fins, les mets délicats. L’or roulait à l’Abbaye. Les affamés de la rue regardaient et s’indignaient ; ils demandaient d’où venait aux prisonniers ce pactole inépuisable ; on supposait, et peut-être la supposition n’était pas tout à fait sans fondement, que l’énorme quantité de faux assignats qui circulait dans Paris, et désespérait le peuple, se fabriquait dans les prisons. La Commune donna à ce bruit une nouvelle consistance en ordonnant une enquête. La foule avait grande envie de simplifier l’enquête en tuant tout, pêle-mêle, les aristocrates, les faussaires et faux-monnayeurs, leur brisant sur la tête leur fausse planche aux assignats.

À cette tentation de meurtre une autre idée se joignit, idée barbare, enfantine, qu’on retrouve tant de fois aux premiers âges des peuples, dans la haute Antiquité, l’idée d’une grande et radicale purgation morale, l’espoir d’assainir le monde par l’extermination absolue du mal.

La Commune, organe en ceci du sentiment populaire, déclara qu’elle arrêterait non les aristocrates seulement, mais les escrocs, les joueurs, les gens de mauvaise vie. Le massacre, chose peu remarquée, fut plus général au Châtelet, où étaient les voleurs, qu’à l’Abbaye et à la Force, où étaient les aristocrates