Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/128

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devenait sincère. Le prodigieux respect qu’il avait pour sa parole finissait par lui faire penser que toute preuve était superflue. Ses discours auraient pu se résumer dans ces paroles : « Robespierre peut bien le jurer, car déjà Robespierre l’a dit. »

Dans l’état prodigieux de défiance où étaient les esprits, pleins de vertige et malades, les choses étaient crues justement en proportion du miraculeux, de l’absurde, dont elles saisissaient les esprits. Si du conseil général de telles accusations se répandaient dans la foule, elles pouvaient avoir des effets incalculables. Qui pouvait deviner si la masse furieuse, ivre et folle, n’allait pas forcer l’Assemblée, au lieu des prisons, chercher sur ses bancs, le poignard en main, ces traîtres, ces apostats, ces renégats de la liberté qu’on lui désignait, cent fois plus coupables que les prisonniers royalistes ?

Le procureur de la Commune, Manuel, répondit à Robespierre. Il n’était pas homme à tenir contre une telle autorité, la première du temps. Manuel était un pauvre pédant, ex-régent ou précepteur, homme de lettres ridicule, qui, pour son malheur, était arrivé, par la phrase et le bavardage, au fatal honneur qui lui mit la corde au col. Il essaya pourtant de lutter ; son bon cœur et son humanité lui prêtèrent des forces. Tout en donnant d’emphatiques éloges à son redoutable adversaire, il rappela le serment des membres du conseil général : « De ne point abandonner leur poste que la patrie ne fut plus en danger. » La majorité pensa comme lui. À la veille