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deux rives, ouvrirent le passage au faubourg Saint-Marceau, aux Cordeliers, aux Marseillais.

C’était en réalité l’acte décisif de l’insurrection. Danton, qui jusque-là était à l’Hôtel de Ville, revint tranquillement chez lui, rassura sa femme[1]. Le sort en était jeté et le dé lancé. Le reste était du destin.

L’intérieur du château, à cet instant, offrait un spectacle comique et terrible. Ce n’était qu’indécision, faiblesse, ignorance. La seule autorité populaire qui fût au château était Rœderer, procureur-syndic du département. Un des ministres lui dit : « Est-ce que la constitution ne nous permettrait pas de faire proclamer la loi martiale ? » Le procureur tira la constitution de sa poche et chercha en vain l’article. Mais, quand on l’eût proclamée, cette loi, qui l’aurait exécutée ?

Lorsqu’on apprit que Manuel avait donné ordre de désarmer le Pont-Neuf, c’est-à-dire d’assurer le passage à l’insurrection, ni les ministres, ni Rœderer ne voulurent prendre sur eux de donner un ordre contraire. Rœderer dit qu’il ne pouvait rien faire sans savoir si Manuel n’avait pas agi avec l’autorisation de la municipalité ; qu’il fallait, pour en délibérer, faire venir tous les membres du dépar-

  1. Quelle part Danton eut-il à ce premier acte de l’insurrection ?… On l’ignore ; il ne présidait pas ce jour-là le club des Cordeliers. Ses ennemis ont assuré que le grand agitateur avait reçu, la veille même, 50.000 francs de la cour, qu’il l’avait ainsi endormie par la confiance ; que Madame Élisabeth disait : « Nous ne craignons rien, nous avons Danton. » — La chose n’est pas impossible ; cependant on n’en a jamais donné la moindre preuve… Il n’y a aucun homme révolutionnaire dont on n’ait dit de telles choses.