Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la nature, invincibles à la pitié, vrais stoïciens pour autrui, ne le fussent moins pour eux-mêmes. Dans le vertige du moment, dans le maniement confus, indistinct, de tant d’affaires et de tant d’objets, la passion dominante (car enfin chacun en a une, tel les femmes, tel l’argent) n’allait-elle pas revenir ?

On raconte que le comité de surveillance, qui avait entre les mains les dépouilles des morts de septembre, une grande masse de bijoux, eut l’idée, dans un besoin public, d’en faire de l’argent. C’était peut-être un peu bien tôt (quelques jours après le massacre) ; à peine avait-on eu le temps de laver la trace ; ces bijoux sentaient le sang. Des anneaux faussés par le sabre qui avait tranché les doigts, des boucles d’oreilles arrachées avec des morceaux d’oreilles, c’étaient véritablement des choses trop tristes, qu’il ne fallait pas montrer ; mieux eût valu enfouir ces lugubres dépouilles marquées de signes de mort, et qui ne pouvaient porter bonheur à personne. Les membres du comité en firent une vente publique aux enchères ; mais quelque publique qu’elle fût, elle n’en était pas moins suspecte ; qui eût osé enchérir sur eux, s’il leur plaisait de dire qu’ils achetaient tel objet ? C’est précisément ce qui arriva. Sergent, en sa qualité d’artiste, regardait, maniait insatiablement un camée de prix en agate. « Ce n’était pas, dit-il dans ses justifications, un camée antique. » Peu importe ; qu’il fût antique ou moderne, il en tomba amoureux. Personne n’osa