Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/302

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Il est impossible de dire tout ce que ce décret suscita de clameurs. Les femmes percèrent l’air de leurs cris. La loi avait cru au célibat du prêtre ; elle l’avait traité comme un individu isolé, qui peut se déplacer plus aisément qu’un chef de famille. Le prêtre, l’homme de l’esprit, tient-il donc aux lieux, aux personnes ? N’est-il pas essentiellement mobile, comme l’esprit, dont il est le ministre ? À toutes ces questions, voilà qu’ils répondaient négativement, ils s’accusaient eux-mêmes. Au moment où la loi l’enlevait de terre, ce prêtre, on s’apercevait des racines vivantes qu’il avait dans la terre ; elles saignaient, criaient.

« Hélas ! mené si loin, traîné au chef-lieu, à douze, à quinze lieues, à vingt lieues du village !… » On pleurait ce lointain exil. Dans l’extrême lenteur des voyages d’alors, lorsqu’on mettait deux jours pour franchir une telle distance[1], elle affligeait bien plus. Le chef-lieu, c’était le bout du monde. Pour faire un tel voyage, on faisait son testament, on mettait ordre à sa conscience.

Qui peut dire les scènes douloureuses de ces départs forcés ? Tout le village assemblé, les femmes agenouillées pour recevoir encore la bénédiction, noyées de larmes, suffoquées de sanglots ?… Telle pleurait jour et nuit. Si le mari s’en étonnait un peu, ce n’était pas pour l’exil du curé qu’elle pleurait, c’était pour telle église qu’on allait vendre, tel cou-

  1. Mon père, venant de Laon à Paris, en octobre 1792, fut en route trois jours et fut obligé de coucher deux fois.