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sa jeunesse, au foyer obscur de l’ancien Danton.

Il n’avait, en réalité, nul goût coûteux qu’une large et imprévoyante hospitalité, une table toujours invitante, où ses amis (et le nombre en était grand) devaient, bon gré mal gré, s’asseoir. Il avait toujours été tel, même au temps de sa pauvreté, ignorant parfaitement ce que c’était que l’argent. Avocat sans cause, ne possédant guère que des dettes, nourri par son beau-père, le limonadier du coin du Pont-Neuf, qui, dit-on, leur donnait quelques louis par mois, il vivait royalement sur le pavé de Paris, sans souci ni inquiétude, gagnant peu, ne désirant rien, jetant partout sur son passage l’or de sa parole. Il était fort ignorant et ne lisait guère. Encore moins écrivait-il ; il avait horreur d’une plume, et l’on ne peut pas trouver de son écriture[1]. Quand les vivres manquaient absolument au ménage, on s’en allait pour quelque temps au bois, à Fontenay, près Vincennes, où le beau-père avait une petite maison.

Supposer qu’un tel personnage soit devenu calculateur, c’est faire trop d’honneur à sa prévoyance. Supposer qu’il ait aimé l’argent tout à coup, c’est croire à une métamorphose qu’on voit rarement. Ce qui est bien plus probable, c’est que, n’ayant jamais su compter, il ne l’apprit point, qu’il n’eut pas plus d’ordre au ministère qu’au petit appartement du passage du Commerce. Habitué à vivre au hasard, n’im-

  1. Il y a une prétendue lettre de lui à sa femme, mais visiblement apocryphe, contraire aux sentiments qu’il avait alors, contraire surtout à ceux qu’il voulait lui montrer.