Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/509

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ange de ténèbres et de lumière pour le suivre à travers l’abîme, passer le Pont aigu… Là, elle n’eut plus la force et glissa dans la main de Dieu.

« La femme, c’est la Fortune », a dit l’Orient quelque part. Ce n’était pas seulement la femme qui échappait à Danton, c’était la fortune et son bon destin ; c’était la jeunesse et la grâce, cette faveur dont le sort doue l’homme, en pur don, quand il n’a rien mérité encore. C’était la confiance et la foi, le premier acte de foi qu’on eût fait en lui. Une femme du prophète arabe lui demandant pourquoi toujours il regrettait sa première femme : « C’est, dit-il, qu’elle a cru en moi quand personne n’y croyait. »

Je ne doute aucunement que ce ne soit Mme Danton qui ait fait promettre à son mari, s’il fallait renverser le roi, de lui sauver la vie, du moins de sauver la reine, la pieuse Madame Élisabeth, les deux enfants. Lui aussi, il avait deux enfants : l’un conçu (on le voit par les dates) du moment sacré qui suivit la prise de la Bastille ; l’autre de l’année 1791, du moment où Mirabeau mort et la Constituante éteinte livraient l’avenir à Danton, où l’Assemblée nouvelle allait venir et le nouveau roi de la parole.

Cette mère, entre deux berceaux, gisait malade, soignée par la mère de Danton. Chaque fois qu’il rentrait, froissé, blessé des choses du dehors, qu’il laissait à la porte l’armure de l’homme politique et le masque d’acier, il trouvait cette blessure bien autre, cette plaie terrible et saignante, la certitude que, sous peu, il devait être déchiré de lui-même, coupé en