Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/67

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insurgés avaient péri ; beaucoup d’entre eux, gens mariés, pauvres pères de famille, que les extrêmes misères avaient poussés au combat, qui, entre une femme désespérée et des enfants affamés, avaient préféré la mort. Des tombereaux les ramassaient, les ramenaient dans leurs quartiers, et là on les étalait pour les reconnaître. Chaque fois qu’une de ces lugubres voitures, couverte, mais reconnaissable à la longue traînée de sang qu’elle laissait derrière elle, chaque fois qu’elle entrait au faubourg, la foule l’entourait, muette, haletante, la foule des femmes qui attendaient dans une horrible anxiété. Et puis à mesure éclataient, avec une étrange variété d’incidents les plus pathétiques, les sanglots du désespoir. Nulle scène de ce genre n’avait lieu sans jeter dans l’âme des spectateurs un nouveau levain de vengeance ; des jeunes gens reprenaient la pique, rentraient dans Paris pour tuer… Qui tuer, où et comment ? C’était toute la question. Ils allaient à l’Abbaye, où étaient les officiers suisses. Ils allaient à l’Assemblée nationale, où cent cinquante soldats suisses avaient trouvé un asile. On avait beau leur expliquer que ces soldats avaient tiré malgré eux, que d’autres avaient tiré en l’air, que d’autres enfin, ceux par exemple qu’on amena de Versailles, étaient même absents à l’heure du combat. Ils venaient, aveugles et sourds, l’oreille pleine de sanglots des veuves, les yeux pleins de la rouge vision de tombereaux combles de sang. Ils ne voulaient que du sang et heurtaient leurs têtes aux portes.