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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/228

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lement la France, vaincue d’évidence, dirait : « J’ai vu, je crois… Chose sûre, le roi est mort… Et vive la République ! »

Mais les Montagnards, en même temps, savaient bien, en faisant ceci, que chacun d’eux avait dès lors pour ennemi mortel, acharné, chacun des rois de l’Europe ; que les familles souveraines, si fortement mêlées entre elles, qui, sans parler même du trône, ont, par leur richesse et leurs clientèles, une influence infinie, leur voueraient une haine fidèle, implacable, à travers les siècles. Chacun de ces juges du roi devenait un but pour l’avenir en lui-même, en ses enfants. Qu’on pèse bien tout ceci, pour avoir la vraie mesure du courage de la Montagne. Un Montagnard, contre les rois, était bien roi aujourd’hui ; mais demain, que serait-il ? Il se retrouverait un particulier isolé, faible et désarmé, comme avant 1789, un médecin, un avocat obscur, un pauvre régent de collège… restant toujours sous le coup de la vengeance, veillé, épié des tyrans, intéressés tous à persuader le monde qu’on ne touche pas à impunément à leurs têtes sacrées. Qu’arriverait-il, si, à la longue, la royauté travaillant habilement la pensée publique, mettant à profit les réclamations de la pitié et de la nature, elle réussissait à pervertir entièrement l’opinion, à trouver des hommes sincères, d’un cœur naïf et poétique (un Ballanche par exemple), pour flétrir ces juges intrépides ?… La Montagne n’ignorait pas qu’en frappant un roi, elle créait sous elle-même un gouffre de mort et d’exé-