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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/248

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grand juge était un abbé Legge qui gouvernait ces bandits en une sorte de tribu biblique ; ce Samuel avait son David dans son frère, ancien officier.

Qu’on juge des effets terribles de la légende du Temple chez des populations préparées ainsi. Les rois, dans l’Écriture, sont appelés mes christs ; le Christ est appelé roi. Il n’y avait pas un incident de la captivité du roi qui ne fût saisi, traduit au point de vue de la Passion. La Passion de Louis XVI allait devenir une sorte de poème traditionnel qui passerait de bouche en bouche, entre femmes, entre paysans, le poème de la France barbare[1].

Et ce n’était pas seulement dans les forêts de l’Ouest que la superstition gagnait. Dans Paris même et tout autour, où la peur la rendait muette, elle n’en était pas moins forte. La Révolution voyait, sentait sous ses pieds le lourd travail de l’ennemi. De là une haine cruelle entre les deux fanatismes. Qu’avaient-elles dans le cœur, ces femmes qui, en janvier, à cinq ou six heures du matin, s’en allaient dans quelque coin écouter un prêtre réfractaire, entendre la nouvelle légende et dire les litanies du

  1. On ne peut se figurer avec quelle promptitude se fait la légende. De nos jours, un voyageur voit, en passant par un canton de la Grèce, un jeune Grec, nommé Nicolas, décapite par les Turcs. Peu d’années après, il retrouve au même pays la même histoire, déjà antique, chargée d’incidents poétiques ; le mort avait déjà des chapelles, il était déjà devenu Agios Nicolaos. — Dès la fin de 1849, le Gouvernement provisoire a passé à l’état de légende dans certaines parties de la Bretagne. Ledru-Roland est un guerrier d’une force extraordinaire ; il est invulnérable, le redresseur de torts, le défenseur des faibles. La Martynn est une puissante fée, comme la Mélusine ; en elle réside un charme invincible. Telle est la légende du Finistère. — Dans Ille-et-Vilaine, Ledru-Roland a été l’amant de la Martynn ; il l’a épousée, etc.