Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les absents sans cause fassent censurés, leurs noms envoyés aux départements[1].

Cette dernière disposition tombait d’aplomb sur Danton. Dans ce grand jour décisif du 15 janvier où l’on vota sur la culpabilité et l’appel au peuple, Danton était resté chez lui.

L’échec du 14 l’avait dégoûté, découragé ; c’est la seule explication qu’on puisse donner de cette absence déplorable. Frappé au cœur par des circonstances de famille, il avait d’autant moins supporté son revers public. La droite s’étant divisée, partant annulée, il n’était pas difficile de voir que le centre, faible et mou, se porterait tout à gauche, que l’Assemblée tout entière perdrait l’équilibre. Dès lors, elle était perdue elle-même, il n’y avait plus d’As-

  1. Cette demande unanime de la publicité des votes, si honorable pour la Convention, s’accorde peu avec l’humiliant tableau qu’en fait M. de Lamartine. On ne voit chez lui qu’une assemblée de misérables, dominés par la peur, bouleversés d’avance par le remords. Mais Louis XVI, vraiment, n’inspirait, ni aux uns ni aux autres cet excès d’intérêt. Le caractère de la grande séance, prolongée pendant soixante-douze heures, fut la fatigue morale, l’insupportable dégoût d’une lutte pénible pour un homme qui, par ses mensonges, avait lui-même fort diminué la sympathie des juges. — Un témoin oculaire, Mercier, nous a tracé le tableau intérieur de la salle, dans ces longues et dernières heures. « Vous vous représentez sans doute dans cette salle le recueillement, le silence, une sorte d’effroi religieux. Point du tout. Le fond de la salle était transformé en loges où des dames, dans le plus charmant négligé, mangeaient des oranges ou des glaces, buvaient des liqueurs. On allait les saluer et l’on revenait. — Le côté élégant, mondain, était celui des tribunes voisines de la Montagne. Les grandes fortunes siégeaient de ce côté de la Convention, sous la protection de Marat et de Robespierre ; Orléans y était, et Lepelletier, et Hérault de Séchelles, et le marquis de Châteauneuf, et Anacharsis Clootz, beaucoup d’hommes fort riches. Leurs maîtresses venaient couvertes de rubans tricolores, remplissaient les tribunes réservées. « Les huissiers, du côté de la Montagne, dit Mercier, faisaient le rôle d’ouvreuses de loges d’opéra, conduisaient galamment les dames. Quoiqu’on eût défendu tout signe d’approbation,