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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/311

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le démenti le plus terrible au principe de la Révolution, qui est l’autorité, la souveraineté du peuple.

Je ne les accuse ni les uns ni les autres, mais le temps, hélas ! la rapidité de notre Révolution !… Le haut idéal moderne, l’unité d’un empire immense obtenue par la loi seule et sans fiction royale, la Révolution l’avait à peine entrevu en 1789 ; elle est obligée, dès 1792, d’en chercher la réalisation. À qui le tort ? À la précipitation des hommes ? Non, à celle des événements. La royauté elle-même, qu’on eût ménagée, par sa résistance obstinée, par son entente avec l’ennemi, poussa fatalement la France à la République, la jeta dans la grande et terrible aventure de 1793, dans le glorieux péril de chercher un monde nouveau, le monde de l’unité, au profit des temps à venir.

L’unité ! ce rêve éternel de l’humanité ! le jour où l’on crut la tenir, où l’on crut la réaliser dans la grande société qui depuis 1789 menait les destinées humaines, un vertige fanatique tourna les esprits ! Personne ne but impunément à cette grande coupe de Dieu, pour la première fois offerte aux lèvres de l’homme. Une ivresse sauvage, comme l’orgie des mystères antiques, s’empara de ces philosophes, de ces raisonneurs, les fit délirer. L’unité de la patrie fut pour eux la seule vie réelle, près de laquelle nulle vie d’homme ne devait compter. Ébranler ce dogme, de près ou de loin, ce fut à leurs yeux assassiner la patrie elle-même et mériter trois fois la mort. Voilà tout le secret des tragédies que nous devons raconter.