Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/225

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de nos soldats, dans cette vie de sacrifices obscurs dont le type connu fut Desaix ? Qui ne vit Dieu dans la grande âme de cette église militante qui, par ses travaux anonymes, a fondé sans bruit les trente mille lois où la France inaugura l’égalité ? Dieu était-il invisible sur la place de la Révolution dans les yeux de tant de martyrs de la liberté, dans le dernier chant de Vergniaud, le dernier mot qu’écrivent Phelippeaux et Desmoulins ?… Disons plus : en des cœurs même nullement irréprochables, en des cœurs que la mort lavait, en ce suprême regard que Danton jeta au ciel… quelque chose de Dieu fut encore…

L’infirmité du scolastique était de croire qu’il fallait chercher Dieu dans un livre, à telle page de Rousseau, comme dans un dictionnaire, de ne pas le reconnaître dans les formes infinies de la vie et de l’action nationale. Blasphème énorme de dire que la France était sans Dieu ! Toute fatiguée qu’elle était, cette nation, et brûlée à la surface, elle bruissait au dedans de cent fleuves inconnus. Et c’était un individu, faible et pâle bâtard de Rousseau, et lui-même tellement dévasté, qui se chargeait de la rajeunir ! À cette mer de fécondité qui verse les eaux à l’Europe, le désert disait : « Sois féconde ! »

Le point par où il se rencontrait bien plus directement avec l’instinct populaire, c’est par ce que j’appellerais la croyance au Diable.

Le peuple attribue tous les maux aux personnes plus qu’aux choses. Il personnifie le Mal. Qu’est-ce que le Mal au Moyen-Âge ? C’est une personne, le