quelques pensionnaires pour le logis et la table. Cette dame fut admirable. Un Montagnard qui logeait dans la maison se montra bon et discret, rencontrant Condorcet tous les jours sans vouloir le reconnaître. Mme de Condorcet logeait à Auteuil et chaque jour venait à Paris à pied. Chargée d’une sœur malade, de sa vieille gouvernante, embarrassée d’un jeune enfant, il lui fallait pourtant vivre, faire vivre les siens. Un jeune frère du secrétaire de Condorcet tenait pour elle, rue Saint-Honoré, no 352 (à deux pas de Robespierre), une petite boutique de lingerie. Dans l’entre-sol, au-dessus de la boutique, elle faisait des portraits. Plusieurs des puissants du moment venaient se faire peindre. Nulle industrie ne prospéra davantage sous la Terreur ; on se hâtait de fixer sur la toile une ombre de cette vie si peu sûre. L’attrait singulier de pureté, de dignité, qui était en cette jeune femme, amenait là les violents, les ennemis de son mari. Que ne dut-elle pas entendre ? Quelles dures et cruelles paroles ! Elle en est restée atteinte, languissante, maladive pour toujours. Le soir, parfois, quand elle osait, tremblante et le cœur brisé, elle se glissait dans l’ombre jusqu’à la rue Servandoni, sombre, humide ruelle, cachée sous les tours de Saint-Sulpice. Frémissant d’être rencontrée, elle montait d’un pas léger au pauvre réduit du grand homme ; l’amour et l’amour filial donnaient à Condorcet quelques heures de joie, de bonheur. Inutile de dire ici combien elle cachait les épreuves
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